Prédications

Nous présentons ici quelques-unes des prédications récentes de notre paroisse. Elles ont été préparées par les pasteures Anne Petit et Mathilde Soriano ou par un(e) prédicateur(trice) laïc(que).

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Prédication de la pasteure Mathilde Soriano du 1er octobre 2023 – Culte d’installation

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Prédication de Mathilde Soriano Culte d’installaion du 1er octobre 2023

 

Prédication d’Alban Choutet du 4 juin 2023

Texte : Gn 9,13-16

« J’ai mis mon arc dans la nuée pour qu’il devienne un signe d’alliance entre moi et la terre. Quand je ferai apparaître des nuages sur la terre et qu’on verra l’arc dans la nuée, je me souviendrai de mon alliance entre moi, vous et tout être vivant quel qu’il soit : les eaux ne deviendront plus jamais un déluge qui détruirait toute chair. L’arc sera dans la nuée et je le regarderai pour me souvenir de l’alliance perpétuelle entre Dieu et tout être vivant, toute chair qui est sur la terre. »

 

Jn 3,16-18

Dieu, en effet, a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle. Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. Qui croit en lui n’est pas jugé ; qui ne crois pas est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu.

 

Ces trois versets de Jean peuvent être considérés comme un credo qui dit la foi. On aurait pu s’attendre à trouver ces paroles en conclusion ou en épilogue de l’évangile, pour rappeler dans une formule condensée l’essentiel de ce qu’il faut retenir et surtout l’essentiel de ce que nous sommes appelés à vivre. Et pourtant, Jean les place au début de son évangile, comme si c’était sa clé de lecture : le Christ est le centre de la foi qui permet de croire et vivre en Dieu, pour l’éternité.

Mais qu’est-ce que cette phrase, ce credo peut nous dire aujourd’hui ? Comment comprendre aujourd’hui ce que Jean a cherché à nous dire il y a 2.000 ans ? Pouvons-nous reprendre ces mots et les faire notre ? Et après, cela change-t-il quelque chose pour nous ?

 

Nous allons voir que Jean s’inscrit dans une certaine tradition juive, notamment celle de l’auteur du déluge et de la fête de Yom Kippour, et cette approche de Jean est une véritable interpellation pour nous, aujourd’hui.

 

Dieu a tant aimé le monde, une réaffirmation de la Genèse

Commençons par Dieu a tant aimé le monde.

Nous avons lu en première lecture que le récit du déluge s’achève avec une alliance où Dieu  s’engage unilatéralement envers les hommes à ne plus jamais les détruire, il n’y aura plus de déluge (Gn 9,11).

Cela montre un Dieu qui reconnait l’impasse de la violence comme réponse à la violence : la violence du déluge ne saurait être une réponse à la violence de l’homme.

L’auteur de la Genèse propose ainsi un Dieu qui accueille le péché de l’être humain et affirme sa miséricorde première et définitive. Cet auteur voit l’avenir de l’humanité éclairci de toute punition divine qui viendrait sanctionner de façon fatale ses comportements répréhensibles. L’humanité n’a plus à vivre dans la crainte d’un tel châtiment. Et implicitement, l’auteur indique au lecteur qu’il n’a plus à imputer à Dieu la responsabilité des catastrophes qu’il subit, que ce soit des maladies ou des événements naturels.

Si Dieu renonce à la violence ultime contre les êtres humains, il ne les laisse pas pour autant seuls gérer la violence dans le monde. Dieu ne se résout pas à observer de façon lointaine la déchéance mortifère de sa création. Dans la genèse, il propose aux êtres humains un cadre pour réguler cette violence, par exemple en accueillant favorablement les sacrifices (Gn 8,20), en autorisant un régime omnivore mais limité aux stricts besoins de l’homme (Gn 9,3-4), ce qui rejoint des débats actuels sur nos modes de consommation alimentaire et leur éventuel impact écologique. Dieu demande également à l’être humain de rendre compte de la vie de son frère (Gn 9,5, ce sera repris dans l’Evangile avec le commandement de l’amour du prochain).

Dans l’alliance (Gn 9,9-11) promise par Dieu à la fin du récit du déluge, Dieu s’engage de façon permanente et universelle, et Dieu espère que l’être humain fera sa part.

 

Jean reprend cette approche de l’auteur du récit du déluge. Lui aussi croit en un Dieu d’alliance, un Dieu qui continue d’aimer ce monde tel qu’il est, avec sa souffrance, sa misère et ses injustices : « Dieu a tant aimé le monde ».

Aujourd’hui, nous pouvons nous inscrire dans cette lignée, dans cette confiance que Dieu continue d’aimer ce monde vivant tant de drames : la folie de la guerre entre voisins, la misère qui pousse des adultes à risquer leur vie et parfois celles de leurs enfants en traversant la méditerranée pour une vie espérée meilleure, la folie d’une humanité capable de surconsommer les ressources naturelles disponibles, quitte à mettre en péril des populations entières… et nous pourrions continuer longtemps cette liste.

Et pourtant Dieu continue à aimer ce monde.

Nous aussi, nous sommes appelés à aimer ce monde, à aimer notre vie malgré toutes ses imperfections, ses échecs et ses épreuves, à avoir la foi, malgré nos doutes, nos renoncements et nos actions qui ne vont pas toujours dans le sens de l’Evangile. Oui, malgré tout cela, comme Dieu et comme Jésus, aimons ce monde, aimons cette vie, œuvrons pour un monde plus juste et plus durable, participons à la création appelée par Dieu, une création vivant en harmonie. Telle est notre vocation en tant que chrétien.

 

Il a donné son fils unique

Continuons dans ce verset. Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils unique.

Comment peut-on « donner » son enfant ?

Une interprétation possible de ce don est au sens de « sacrifier » et c’est le sens de la fête juive de Yom Kippour qui a lieu chaque année, c’est la fête du grand pardon pour les fautes commises envers Dieu. Selon le chapitre 16 du livre du Lévitique, le rite prévoyait, entre autre, d’envoyer au désert un bouc chargé symboliquement des péchés du peuple juif. Dieu acceptait ce sacrifice et le lien était pleinement rétabli entre Dieu et son peuple.

Mais comme le peuple juif recommençait à pécher, il fallait l’année suivante envoyer un autre bouc, un bouc-émissaire (c’est l’origine de l’expression) pour assurer la réconciliation avec Dieu. Le peuple juif devait ainsi sacrifier pour le péché dans lequel il était retourné et ainsi retrouver le lien qui l’unissait à Dieu.

Jésus crucifié est ce bouc émissaire ultime, qui réconcilie définitivement Dieu et l’humanité. Plus aucun autre sacrifice ne sera nécessaire, le péché de l’être humain est désormais pardonné, pour toujours.

Ce sacrifice de Jésus est définitif, parce que Jésus a été envoyé par Dieu. Ce que pouvait sacrifier le peuple juif par lui-même était insuffisant.

Dieu, par amour de l’être humain, va offrir au peuple juif et à toute l’humanité, cette compensation ultime du péché dans lequel elle vit, et cette compensation, c’est la croix, c’est la mort de Jésus.

Dieu envoie donc Jésus pour qu’il meurt afin d’effacer définitivement nos péchés, pour rétablir à jamais le lien entre l’être humain et Dieu. Il fallait que Jésus meure sur la croix, et telle était la volonté de Dieu car dans cette approche, qui transparait souvent dans les Evangiles, il n’y avait pas d’autre solution.

 

Une autre interprétation est possible avec l’Evangile de ce jour.

« Donner », c’est se déposséder, c’est accepter que ce qui est donné nous échappe, que cela ne nous appartient plus, et que cela appartient à celui qui le reçoit.

Dieu a donné Jésus à ce monde. Plus précisément, en faisant de Jésus son Christ, Dieu a pris le risque du don, il a pris le risque de la liberté et de la responsabilité laissées à l’homme.

Par ce don, Dieu a accepté que l’homme puisse détruire et anéantir son envoyé ultime. Et cela a été le choix d’une partie de l’humanité de ne pas écouter les paroles de Jésus qui étaient le reflet de la Parole de Dieu, et de le crucifier. Ce choix d’une partie de l’humanité de faire mourir Jésus continue à être fait aujourd’hui : par exemple en acceptant un état de guerre ou de communautarisme, en acceptant l’injustice sociale au sein d’un même pays ou entre les pays, ou en acceptant la folie écologique de notre façon de vivre dans les pays riches.

Mais c’est le choix d’une autre partie de l’humanité que de vivre du don de l’Esprit de la pentecôte, que de croire en la résurrection ou pour le dire de façon actualisée : de vivre l’Evangile dans le quotidien de son travail, de sa famille ou avec ses voisins, de témoigner qu’il est possible de croire en une vie qui a du sens lorsqu’elle est ouverte sur le prochain de façon inconditionnelle, qu’il est possible de lutter contre les réflexes de survie égocentrée.

 

Notons également que le don est une action. Lorsque Jean dit que Dieu nous a donné Jésus, on peut dire que Dieu a agi en nous donnant Jésus, plus précisément, en suscitant la vocation de Jésus d’être pleinement uni à lui, comme nous sommes appelés à être uni à Dieu. Nous sommes invités à suivre l’exemple de Dieu, et donc à ne pas attendre passivement que les choses changent comme par magie.

Les choses changent car les personnes agissent. Il y a 2.000 ans, heureusement que Dieu nous a fait le don de Jésus, heureusement que le Christ ressuscité a fait le don de l’Esprit à la Pentecôte, heureusement que les premiers chrétiens n’ont pas tous attendu passivement la fin de leur vie ou la fin du monde, mais qu’ils ont témoigné, fondé des Eglises, et affronté les épreuves du rejet, de la division et de la persécution. Heureusement que les premiers chrétiens animés par l’Esprit saint nous ont fait le don de l’Eglise et de la Parole. Et nous, à qui faisons-nous ce don pour que la chaîne continue ? Nous y reviendrons.

 

Pour que tout homme ait la vie éternelle.

Avançons dans le verset : Dieu a tant aimé le monde qu’il nous a donné son Fils, son unique, pour que tout homme ait la vie éternelle.

Jésus, la plupart des apôtres et les premiers disciples de Jésus, n’ont pas eu une vie longue ici-bas, se terminant par une retraite paisible et bien mérité au bord du lac de Tibériade. Plus généralement, les artisans de paix risquent leur vie et parfois en meurent : ce fut le cas aussi d’Etty Hillesum, de Martin Luther King, de Gandhi et de tant d’autres. Ces personnes n’ont pas cherché délibérément à mourir, elles ont accepté que leurs actions de paix, de fraternité et de justice puissent les mener à la mort. Ces personnes ont accepté ce risque de mourir, parce qu’elles étaient convaincues que quelque chose d’essentiel se jouait dans leur propre vie. Elles ont accepté le risque du don de leur vie pour une cause qui les dépassait. Elles ont accepté une vie biologique peut-être moins longue, pour une vie qui a du sens, une vie « en Dieu » comme nous pourrions le dire en tant que chrétien.

La victoire de la vie sur la mort que nous avons célébrée avec le lundi de Pâques et la pentecôte, c’est la victoire du don que Dieu a fait à ce monde, la victoire de la vie de Jésus en Dieu, ou dit autrement la victoire de la confiance dans une vie nouvelle en Dieu qui est plus forte que la peur de la mort, la confiance dans une vie qui peut contribuer à transformer positivement ce monde.

Concrètement, cette victoire de la vie sur la mort se voit dans tous les témoins qui, à la suite de Jésus, mettent leur vie en Dieu et agissent pour un monde plus juste et plus durable, hier comme aujourd’hui.

Cela a été possible car à chaque génération, depuis les apôtres et les premiers disciples, il y a eu des témoins qui ont montré aux suivants que cela avait du sens, que là était « le chemin et la vérité et la vie », comme le dira Jean un peu plus loin dans son Evangile (Jn 14,6).

Cette chaîne, de génération en génération, est une forme de vie éternelle. Les actions réalisées par ces témoins continuent de vivre à travers leurs successeurs, et connectent ces successeurs à tous ceux qui les ont précédés, et à tous ceux qui les suivront.

Il n’est pas vain de croire en Christ et en la vie éternelle, parce que les actions qui en découlent s’inscrivent dans une chaîne qui dépasse l’horizon de notre vie. Les paroles de Jésus qui ont animé, d’une façon ou d’une autre, des témoins comme ces prix Nobel de la paix Albert Schweitzer pour ses actions en faveur du respect de la vie et contre la souffrance, ou Denis Mukewege pour son combat contre les violences faites aux femmes, et leurs actions continuent à inspirer les vivants pendant leur vie et longtemps après leur mort.

Dieu ne nous promet pas ou ne donne pas l’assurance d’une vie biologique plus longue ou plus agréable. Dieu nous promet une vie éternelle qui commence ici et maintenant, car Jean utilise bien le temps du présent pour dire que tout homme qui croit au Christ a la vie éternelle. Nos actions ici-bas qui s’inscrivent dans la lignée des bâtisseurs de paix et de fraternité ouvrent dès maintenant à la vie éternelle.

 

Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour le juger, mais pour que le monde soit sauvé par lui.

Poursuivons dans ce passage de l’Evangile de Jean : car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour le juger, mais pour que le monde soit sauvé par lui.

Si nous croyons que notre vie ici-bas nous ouvre déjà à une forme de vie éternelle, alors effectivement, comme Jean l’indique, la conséquence est que nous sommes déjà sauvés de notre vivant, nous ne sommes pas et nous ne serons pas jugés.

Plus précisément, nous sommes justifiés par la grâce. Nous retrouvons ici un thème central de la foi protestante : Dieu nous aime et nous justifie, non pas parce que nous le méritons ou parce que nous l’avons gagné par nos actions et nos  œuvres, mais parce que Dieu nous aime, parce qu’il a fait alliance avec nous, comme le montre le récit du déluge au tout début de la Bible, parce qu’il a renouvelé cette alliance en nous donnant Jésus, parce qu’il aime ce monde, même si ce monde continue, génération après génération, à vivre en partie dans le mal et la violence.

 

Qui ne croit pas est déjà jugé

Jean poursuit avec : qui ne croit pas est déjà jugé.

Finalement avec Jean et dans la continuité de l’auteur du récit du déluge, la problématique du salut n’est pas tant du côté de Dieu, puisqu’il nous l’accorde si nous croyons en lui, que du côté de l’homme.

Jean précise que celui qui ne croit pas est déjà jugé, qu’il n’est pas justifié. Il appartient ainsi à l’homme de croire ou non, d’inscrire sa vie ici-bas dans la perspective de la vie éternelle.

Et ce n’est pas si évident ! Nous avons vu que croire peut nous entrainer loin, y compris jusqu’à la mort, comme ce fut le cas pour Jésus et tant de disciples.

Il faut effectivement un certain courage pour être un chrétien debout, libre et engagé, pour vivre en cohérence avec le credo que nous venons de méditer, pour contribuer à ce que l’Eglise puisse continuer à vivre demain avec les prochaines générations, pour contribuer à ce que le mal ne submerge pas totalement le monde.

 

Alors que décidons-nous ? Qu’allons-nous faire concrètement pour que ce credo devienne réalité dans nos vies ? Il n’y a pas de réponse précise, parce que cela dépend de chacun, de ses capacités, de là où il en est sur son chemin de vie. Par contre, il y 2.000 ans comme aujourd’hui, il y a beaucoup à faire, et beaucoup à vivre, jusqu’à la dernière seconde de notre vie ici-bas. Dieu nous appelle à aimer ce monde, à aimer cette vie ici-bas, à agir pour ce monde, à agir pour notre prochain, à être acteur d’un monde plus juste et plus durable.

La Bonne nouvelle, c’est qu’en faisant cela, nous serons unis à Dieu, à tous les témoins qui se sont inscrits et à tous les témoins qui s’inscriront dans cette lignée, cette chaîne de la vie qui donne tout son sens à notre vie ici-bas et fait entrer dès maintenant dans la vie éternelle. Alors aimons ce monde, agissons et entrons dans la vie éternelle.

Amen

 

Je vous invite à prendre quelques minutes pour réfléchir à comment j’incarne ma foi par mes actions au quotidien et à identifier là où c’est peut-être plus difficile de le faire.

 

 

Prédication d’Anne Petit du 12 février 2023

Textes bibliques : Proverbes 8 et 1 Corinthiens 2

 

Frères et sœurs,

Au début de l’épître, l’apôtre Paul a expliqué aux Corinthiens que la parole de la croix est un scandale pour les Juifs et une folie pour les païens mais que pour le croyant, elle était puissance de Dieu qui anéantit la sagesse des humains. Il poursuit son raisonnement en montrant que la puissance de Dieu est la vraie sagesse.

Pour comprendre complètement ce que dit l’apôtre, il faut se rappeler ce que la sagesse signifiait au premier siècle de notre ère dans le monde hellénistique. Notons d’ailleurs que ce passage contient beaucoup de mots de la culture ambiante ; « sagesse », « puissance », « mystère », « caché- révélé », « princes de ce monde ». Mais Paul les réinterprète à la lumière du Christ crucifié qui nous appelle à sa suite ! C’est naturel, il vaut mieux rester au plus près de l’univers de celui qu’on veut convaincre. C’est d’ailleurs souvent ce qui pose difficulté à la mission aujourd’hui. Quels mots utiliser pour dure l’Evangile hors de nos murs ? Il est certain que les mots et les lieux familiers aident à la compréhension. Ainsi, on a construit beaucoup d’églises sur des lieux de culte païens. Ainsi a-t-on aussi relu le christianisme naissant à la lumière de la philosophie grecque. Mais là, Paul fait l’inverse. Il va s’emparer de termes du monde grec et les charger d’un sens nouveau.  Pour comprendre le succès incroyable du christianisme aux deuxième et troisième siècles, il est bon de se rappeler que la culture hellénistique partageait avec le judaïsme de nombreuses aspirations : espérance d’un avenir meilleur, aspiration au perfectionnement, parfois recherche de l’extase, souci de communion avec un ou des dieux proches des humains comme le montre le succès des cultes à mystères. Même si le judaïsme s’éloigne des fondements de ces aspirations, il n’y est pas étranger. Cela va d’ailleurs faciliter l’évangélisation. Le langage est là, il suffit d’y apporter une signification nouvelle. Ainsi, la sagesse recherchée par tous les penseurs va être redéfinie par Paul, de manière certes subversive mais en s’appuyant sur ces aspirations communes.

Il va donc développer ce que signifie pour lui « Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les non-Juifs » en montrant qu’il ne s’agit ni de l’un ni de l’autre, mais de la véritable sagesse. Celle à laquelle les Corinthiens pourraient penser spontanément, c’est celle de la civilisation grecque. Et nous aussi me semble-t-il : l’exploration du savoir, la formation de l’intelligence, la recherche éthique d’une vie bonne et conforme à la volonté divine, tout cela relève de la « sagesse ». Le problème, c’est que tout cela peut aussi conduire à une survalorisation de l’intelligence humaine, à l’idée que l’humain peut tout penser et donc à terme tout comprendre. De plus, celui qui pense savoir n’écoute plus. Toute opinion contraire est dévalorisée, et cela détruit peu à peu la richesse de l’échange. Si l’autre ne peut rien m’apporter parce que je détiens la sagesse suprême, alors l’autre a moins de valeur que moi. Forcément. Et puis, le sage risque de ne pas entendre quand Dieu lui parle.  Voilà pour la sagesse humaine. Elle ne mène en réalité à l’accomplissement d’aucune des aspirations collectives des contemporains de Paul. Elle ne mène d’ailleurs à aucune des nôtres. Au contraire, elle est génératrice de destruction et d’appauvrissement.

Donc, cette Sagesse de Dieu qui est-elle ? Je dis bien « qui » puisque le long extrait des proverbes nous la montre personnalisée. Au premier siècle de notre ère, les Juifs avaient rendu Dieu si lointain et si terrible que des personnalités avaient émergé entre lui et les humains. Les anges, et surtout les archanges étaient certes terrifiants mais au moins pouvait-on les voir sans mourir. On va également personnaliser la Sagesse comme le montre le livre des proverbes et le livre de la Sagesse qui ne se trouve malheureusement pas dans les bibles protestantes.  Elle est présentée comme témoin, voire collaboratrice de la création, enseignant la sagesse aux humains, ouvrant ainsi l’accès à la vie, parabole de la communication de la parole de Dieu. Dans la tradition pharisienne, la Sagesse a été identifiée à la Tora, avec la vie proche de Dieu qu’elle permet à ceux qui l’observent. Mais la pensée juive hellénistique a poussé plus loin la réflexion, notamment avec Philon d’Alexandrie. Ce dernier était un philosophe juif qui a tenté de relire la foi juive dans le cadre de la philosophie grecque. Il a fait de la Sagesse, avec la puissance de Dieu (sophia et dynamis, mots utilisés dans I Cor 2), une entité médiatrice entre Dieu et les humains.  D’autres livres complètent ce portrait, comme le livre de Baruch. On voit donc la Sagesse vivre au milieu des humains, tentant encore et encore de les enseigner, seule capable de leur donner « la vie » (dernier verset du chapitre 8).

Je ne sais pas si vous avez repéré le parallèle entre la description de la Sagesse et celle de la Parole, c’est-à-dire de Jésus, dans le prologue de Jean, mais elle est frappante, tant par le sens que par les images et le vocabulaire. Elle est si frappante que certaines théologiennes féministes ont parlé de Jésus-Sophia pour réintroduire du féminin dans une image de Dieu que les messieurs avaient peu à peu totalement masculinisé alors que Dieu n’est ni masculin, ni féminin ou les deux à la fois.

Paul, lui, se saisit d’une autre caractéristique de la Sagesse des écrits juifs pour arriver exactement à la même chose : la Sagesse, médiatrice entre Dieu et les humains leur enseigne le chemin de la vie. Voilà la vraie sagesse et cette sagesse a un nom, Jésus-Christ. A l’intérieur même de la pensée et de la culture hellénistique et avec ses propres termes, Paul raconte une intervention de Dieu aussi inédite dans le monde grec que dans le judaïsme : le médiateur du salut, c’est Jésus-Christ, le crucifié. Cette « sagesse » n’est accessible que par la révélation, qui fait irruption dans notre histoire. A l’intérieur des codes de pensée hellénistiques dis-je parce que beaucoup des mots employés par Paul résonnent dans l’esprit de ses lecteurs d’origine païenne : sagesse, puissance, mystère, princes du monde, ce qui est caché puis révélé par exemple. Mais, ce que Dieu « cache » et « révèle » (v10) n’est pas accessible à la sagesse humaine, cela lui est même incompréhensible. Ce qui est révélé, c’est l’événement clé du salut dont la première génération de chrétiens, les destinataires de Paul, vivent le « aujourd’hui » voulu par Dieu et dont nous continuons à vivre l’actualité. Et cela reste caché à ceux qui veulent savoir et comprendre parce que le Sauveur du monde n’est pas Isis ou Mithra ou telle ou telle divinité cachée, mais c’est Jésus le Christ crucifié.

Ainsi cette Sagesse juive dont nous avons découvert quelques attributs est incarnée par un homme, Jésus de Nazareth dont la vie, la mort et la résurrection subvertissent tout ce que les Juifs et les non-Juifs pensaient liés à la sagesse. En effet, plus question de connaissance, d’intelligence, de modération et d’éthique de vie. La croix est l’inverse de tout cela : absurde ; injuste. Elle est la conséquence du refus de connaître Jésus, elle est sans intelligence puisqu’elle accomplira l’inverse du résultat espéré. Le petit groupe de Galiléen autour d’un simple rabbi va devenir après la croix un mouvement que rien n’a pu arrêter et qui, aujourd’hui encore, continue à s’étendre dans le monde. Il est nécessaire à ce stade de rappeler que pour l’apôtre, la croix, c’est la croix ET la résurrection. Mais si la résurrection surprenait, c’est la croix qui faisait scandale. On ne pouvait imaginer qu’un crucifié puisse être vénéré, évidemment.

Et pourtant, la croix est sagesse de Dieu puisque l’événement de la croix, c’est la révélation du Christ comme sauveur du monde, sauveur inattendu, impossible, incroyable. Et pourtant …

Et pourtant nous sommes là, la bonne nouvelle est parvenue jusqu’à nous, par la Bible et la nuée de témoins au travers des siècles. C’est donc que le message de Paul était suffisamment compréhensible pour que ses contemporains aillent en nombre voir et entendre ce dont il s’agissait, pour qu’ils écoutent l’enseignement de cette nouvelle Sagesse, ou alors était-ce l’ancienne, celle des Proverbes, qu’on écoutait enfin ?

Nous sommes là. Et les mêmes questions se posent au monde. Malgré la parole de la croix, malgré la bonne nouvelle d’un Dieu qui aime, qui pardonne et qui offre une vie avec lui, les pays de culture désormais chrétiennes sont confrontés aux mêmes questions, aux mêmes risques. Qu’est-ce la sagesse ? Pour la majorité des humains, cela reste la recherche de la connaissance, l’intelligence, une morale, toutes choses mesurables, quantifiables et qui risquent de conduire l’humain à se penser au-dessus de tout, à vouloir se passer de Dieu … tout en attendant des sauveurs quand même. Mais sauveurs humains, idoles qu’on adore, dirigeant qu’on suit aveuglément, maîtres de sagesse, gourous qui vous apprennent à trouver vos forces en vous. Voilà le risque de la sagesse humaine. On a même voulu rendre Jésus sage … On a apprivoisé son enseignement pourtant subversif. On porte la croix comme un bijou, on l’a transformé selon les besoins du moment en sage, en révolutionnaire, en hippie, en gentil copain …

Bref, on n’a toujours pas compris, après 2000 ans, qu’il est la Sagesse de Dieu et que cette sagesse-là n’a rien à voir avec ce que les humains entendent par sagesse.

Ce qui jaillit de la parole de la croix, ce n’est pas un discours lénifiant, c’est un raz de marée qui retourne nos sagesses, nos connaissances et qui nous appelle à transformer nos vies. L’Occident a intégré une partie de ce discours, ce qui rend notre mission plus difficile que celle des premiers chrétiens. En effet, l’offre a perdu de sa nouveauté tout en perdant également sa radicalité, au point que notre propre conversion est sans cesse à renouveler, les bienfaits de Dieu à compter dans un monde où nous vivons bien matériellement sans Dieu mais chacun pour soi.

Il n’en reste pas moins que cette parole demeure, 2000 ans plus tard et qu’elle continue à transformer le monde. Si nous l’accueillons, elle nous engage, non pas à une morale, mais à un changement de regard sur tout : nous, les autres, le monde. C’est difficile mais nous savons que c’est la seule voie vers Dieu, le seul chemin vers une humanité réconciliée avec elle-même et avec le monde. N’est-ce pas là la seule véritable sagesse ?

Nous avons la grande chance que cette sagesse soit un homme : il a parlé notre langage, il a fait les mêmes gestes, il a leu e même horizon que nous tout en étant si proche de Dieu qu’il a pu parler et agir en son nom. C’est pour cela que nous comprenons enfin ce que Dieu veut pour nous. La Sagesse n’est ni une connaissance, ni une intelligence, ni un mode de vie. Elle est un homme que nous pouvons rencontrer et qui nous accompagne jusqu’à la fin du monde.

Amen

 

Prédication d’Hubert Midon 18 déc 2022 Matthieu 1, 18 à 25

Prédication de Anne Petit 19 oct 22 1 Samuel 1

 

 

 

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